Mériol Lehmann
au Parc national de Miguasha (Nouvelle)
EXPOSITION
De la friche comme résistance
Mériol Lehmann, Montréal (Québec) | mlehmann.ca
À partir des années 1950, la ruralité québécoise se transforme en profondeur, avec le passage d’une agriculture de subsistance au régime agricole productiviste, notamment en raison de politiques étatiques qui soutiennent activement ce changement. Dans les basses-terres du Saint-Laurent, où se situent les meilleures terres, les fermes laitières cèdent la place aux monocultures de maïs et de soya, affectées à nourrir porcs et volailles dans les élevages hors-sol. L’arrivée de la mécanisation et des intrants biochimiques permet d’exploiter de plus vastes surfaces, avec une main-d’œuvre réduite, et d’augmenter significativement les rendements. En plus de ces phénomènes de spécialisation et d’intensification, le productivisme est marqué par la disparition des petites fermes au profit des plus grandes, ces dernières augmentant ainsi considérablement leur superficie.
Avec optimisme, les cultivateurs de l’époque fondent l’espoir que la prospérité amenée par ces nouvelles méthodes agronomiques remplacera un mode de vie rythmé par les durs labeurs. Mais, dans les régions plus éloignées aux sols généralement plus pauvres, ce changement de régime signifiera plutôt une importante déprise agricole, avec l’abandon d’un nombre élevé de fermes.
Ancrée dans l’extractivisme et la pensée scientifique, l’agriculture productiviste s’inscrit dans un paradigme où la terre est une ressource à disposition. La solutionnisme technologique des oligopoles agro-industriels propose de réguler la nature pour avoir des sources alimentaires stables et rentables. Après la mécanisation et la biochimie, l’agriculture numérique est le nouveau front : des cartes satellitaires détaillées permettent de guider les tracteurs par GPS et de programmer les machines selon les données recueillies.
À l’été 2023, dans le cadre de l’événement Friches présenté à Victoriaville, j’ai réalisé une performance artistique intitulée Les foins. En hommage à ces paysans qui ont trimé dur pour transformer les contreforts des Appalaches en terres agricoles, j’ai proposé de redonner temporairement à cette friche la fonction qui a fait ses beaux jours, celle d’un lieu nourricier. J’y ai ainsi fait la fenaison de la même manière que ceux qui l’ont défriché : manuellement, avec faux, fourche et râteau. Un hommage physique aux cultivateurs d’autrefois, pour éveiller notre conscience d’aujourd’hui.
Exposition aux Rencontres
De la friche comme résistance
Né en Suisse, mais vivant au Québec depuis plus de 40 ans, Mériol Lehmann est un artiste ayant recours principalement à la photographie, à l’art sonore et aux arts médiatiques. Que ce soit sous forme d’expositions, d’installations ou de performances, son travail a été présenté dans de multiples lieux de diffusions sur cinq continents. Détenteur d’une maîtrise en arts visuels de l’Université Laval, il a poursuivi des études doctorales à l’École Multidisciplinaire de l’Image de l’Université du Québec en Outaouais. Après avoir consacré ses recherches à une approche systémique du territoire et aux représentations de la ruralité contemporaine, il s’intéresse dorénavant à la remise en question du dualisme cartésien nature/culture et à ses impacts sur la crise écologique.